Je voudrais être un fauteuil…(*)

Ou un séchoir, ou une brosse ou quoi que ce soit ! l’important c’est que ce soit dans le salon de coiffure pour dames du côté de chez mes parents.

Pourquoi ? sûrement pas pour sentir les lourdes fesses de ces bonnes dames contre moi, ni les doigts serrés de ma coiffeuse  étouffer mon orgueil…(*)

C’est un salon que je fréquentais quand je vivais chez mes parents et  je continue à profiter de ses prix très bas et des discussions amusantes qui s’y déroulent et qui frôlent le surréalisme parfois.

Les évènements particuliers qui ont secoué la Tunisie depuis décembre 2010 ont donné lieu à un nouveau style de conversation, à de nouveaux potins et à une nouvelle vision du monde de la politique !

L’histoire de Leïla la coiffeuse qui a épousé un président de la république se racontaient entre femmes du même métier comme un compte de fées mais qui ne faisais pas beaucoup rêver car un président en Tunisie c’est tout les vingt ans, donc ce qui est arrivé à Leïla restera un fantasme comme l’était celui de voir défiler tout les quatre ans un nouveau président comme dans les pays démocratiques ; mais bon cela reste une fierté quand même. Cette même histoire alors est devenue une insulte pour toute coiffeuse tunisienne qui se respecte.

« On préfère mieux notre réputation d’antan, dit Nadia,  les hommes préfèrent de loin une *** qu’une profiteuse qui le ruine et qui en plus a un passé noir, tu sais qu’il a un enfant d’un autre homme ? et elle prétendait pendant des années que c’était son frère !!! que dieu nous protège ! »

Dans un autre coin du minuscule salon l’apprenti coiffeuse Samira soupire :

« Ces pauvres militaires tout le temps debout devant les banques et les magasins, dans quelques semaines ils auront des varices énormes ! regarde mes jambes à moi ! »

« Ce couvre-feu !  ça tombe très bien ! depuis le temps que je veux faire un deuxième bébé… avant il était toujours entrain de fumer sur le trottoir du café du coin, maintenant il est obligé de rentrer à la maison et d’y rester avant 18 heures, donc j’en profite…» et elle sort un rire narquois qui reflète bien sa surexcitation,  il semble qu’elle était en pleine ovulation, c’est ce qu’elle continue à raconter tout bas à sa voisine.

La cliente dont les sourcils subissaient la rude pince à épiler avide de poils de Nadia trouvait aussi que le couvre-feu est une bonne invention pour souder les liens familiaux mais elle trouvait très dangereux que les Khomeyni atteignent le pouvoir car les hommes vont pouvoir épouser quatre femmes et ça va tout bousiller… hein! Khomeyni ? me diriez vous… eh oui ! au fait elle voulait dire  « le parti religieux Ennahdha », mais bon je vous ai expliqué le contexte, c’est le salon de coiffure du côté de chez mes parents, donc…

Ces mêmes femmes confonderaient facilement les deux drapeaux turc et tunisien à force de se gaver des feuilletons turcs, ce fléau qui a envahit la télé tunisienne comme la camelote chinoise a massacré nos marché, mais j’espère que ce n’est pas le cas, mon pessimisme face à ces analyses ne cesse de s’agrandir et de bouffer mon peu d’optimiste à bride abattue.

En sortant, la discussion commençait à virer cuisine et recettes « révolutionnaires » qui se préparent avec ce qu’on peut trouver sur les marchés en ces temps de pénurie inhabituelle à ces bonnes tunisiennes fières de l’être et fière de leur p’tit pays qui leur donnent toujours autant de potins et d’histoires à « grignoter » dans les salon de coiffure ! on ne s’ennuie pas dans ce pays.

Tunisie, je t'aime !

(*) fait référence à la chanson de Gnawa diffusion "je voudrais être un fauteuil"

Rym Mouelhi Beddey